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L’immobilier dans tous les états du droit

L’immobilier, composante importante du patrimoine des Français, s’inscrit dans le champ juridique à tous niveaux. Ainsi, il passe par tous les états du droit, droit civil mais aussi fiscalité. Il mérite une attention particulière au regard des modes de détention qui l’accompagnent, tant l’indivision que la société civile, et de sa place déterminante dans les rapports familiaux, en premier lieu au sein du couple. Le tour d’horizon d’une riche jurisprudence s’impose.

Pascal Pineau
- Responsable pédagogique DU IPCE de l'AUREP
- DU Ingénierie Patrimoniale du Chef d'Entreprise
- DESS Gestion de Patrimoine de l'Université d'Auvergne

Plusieurs thèmes se disputant les feux de la rampe, je donnerai la priorité au droit civil, de la banale situation des indivisaires aux arcanes des régimes matrimoniaux, entre régime primaire et communauté légale, avant d’aborder la fiscalité, et tout particulièrement la taxation des plus-values. Commençons donc avec l’acquisition en indivision, opération on ne peut plus banale, et pourtant toujours aussi mal maîtrisée.

PARTIE I : L'ACQUISITION EN INDIVISION

De savants calculs inutiles…

Un homme et une femme ont acquis indivisément, pour moitié chacun, des parcelles de terrain, ont créé un lotissement sur l’une et fait édifier une maison d’habitation sur l’autre, le financement de la construction ayant été en partie assuré avec le produit de la revente des lots. Des problèmes apparaissent lors du partage de l’indivision.

En réponse, la cour d’appel fixe les droits de l’homme sur la maison indivise à 46,24 % de sa valeur et ceux de la femme à 31,22 % car « chacun des coïndivisaires a financé à titre personnel, dans cette proportion, le coût de la construction de la maison ».

L’erreur n’est que trop classique et la Cour de cassation reprend la cour d’appel de volée : « ayant acheté le bien en indivision chacun pour moitié, [ils] en avaient acquis la propriété dans la même proportion » (Cass. 1e civ., 10 janv. 2018, n° 16-25.190, publié au bulletin).

J’en profite au passage pour rappeler que, s’agissant des résidences principales et secondaires, il arrive régulièrement que les magistrats s’en tiennent à la propriété émanant de l’acte sans égard pour le financement, et ceci sur le fondement de la contribution aux charges du mariage telle que prévue à l’article 214 du Code civil (Les charges du couple, un cheval de Troie moderne, P. Pineau, Newsletter AUREP n° 229, juin 2016).

La valeur à retenir pour un bien indivis lors du partage n’est pas aussi évidente qu’il y paraît, la question d’une éventuelle décote (ou abattement) étant régulièrement soulevée.

Une moitié indivise à moitié prix ?

Ainsi une femme a fait donation de la moitié indivise d’une villa sise à Aix-en-Provence à sa fille avant de mourir en laissant pour lui succéder cette dernière et ses deux fils. La villa étant estimée à 700 000 €, quelle est la valeur à retenir pour cette moitié indivise lors du partage ?

350 000 €, naturellement, diront ceux qui s’accrochent à la plus élémentaire logique. La solution, néanmoins, ne convient pas à la donataire qui estime que « lorsqu’un bien fait l’objet d’une autre indivision que l’indivision successorale, le juge doit tenir compte de la dépréciation résultant de cet état d’indivision ». Certes, la villa faisait l’objet de deux indivisions, mais exclusivement entre les mêmes personnes.

Alors que « l’état d’indivision d’un bien n’affecte pas, dans les rapports entre les copartageants, sa valeur vénale », il convient, comme l’a fait la cour d’appel, de « rejeter la demande de [la sœur] tendant à diminuer la valeur de cet immeuble d’un abattement destiné à tenir compte de cet état d’indivision » (Cass. 1e civ., 15 mai 2018, n° 17-18.903). Une autre question se posait, au regard cette fois à une éventuelle indemnité d’occupation relative au même bien.

Attribution préférentielle mais indemnité quand même !

Dans le même arrêt, la Cour de cassation rappelle que « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité » (C. civ., art. 815-9, al. 2) et que « le bénéficiaire de l’attribution préférentielle ne devient propriétaire exclusif du bien attribué qu’au jour du partage définitif » (C. civ., art. 834, al. 1er).

En conséquence, elle prend le contrepied de la juridiction d’appel en considérant que l’homme est redevable d’une indemnité d’occupation car il « avait usé, à titre privatif, jusqu’au jour du partage, du bien indivis qui lui avait été attribué à titre préférentiel ».

Mais venons-en aux régimes matrimoniaux, en commençant par le régime primaire qui impose ses règles d’ordre public à tous les époux. S’agissant d’immobilier, les yeux se tournent aussitôt vers la résidence principale…

Détention provisoire ?

Au cas particulier, la résidence principale d’un couple – appartement occupé par les époux et leurs enfants – était détenue par une société civile au capital social de 100 parts, dont 99 détenues par le mari et 1 par son épouse.

Le mari, gérant de la SCI, autorisé par l’assemblée générale des associés de celle-ci, a vendu l’appartement sans que le consentement de son épouse ait été recueilli. L’épouse, qui a engagé une procédure de divorce, demande l’annulation de la vente au titre de la protection accordée par l’article 215, alinéa 3, du Code civil, selon lequel « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni ».

Dans le sillage de la cour d’appel, la Cour de cassation subordonne l’efficacité du dispositif « à la condition, lorsque ces droits appartiennent à une société civile immobilière dont l’un des époux au moins est associé, que celui-ci soit autorisé à occuper le bien en raison d’un droit d’associé ou d’une décision prise à l’unanimité de ceux-ci, dans les conditions prévues aux articles 1853 et 1854 du code civil ».

Un droit, quel qu’il soit, mais un droit !

Comme « il n’était justifié d’aucun bail, droit d’habitation ou convention de mise à disposition de l’appartement litigieux par la SCI au profit de ses associés, la cour d’appel en a exactement déduit que l’épouse ne pouvait revendiquer la protection accordée par l’article 215, alinéa 3, du code civil au logement de la famille » (Cass. 1e civ., 14 mars 2018, n° 17-16.482, publié au bulletin).

Bien que d’ordre public et rédigé, très probablement, pour s’imposer dans l’immense majorité des situations rencontrées en pratique, l’article 215, alinéa 3, du Code civil trouve donc ses limites ; la décision de la Cour de cassation invite en conséquence à la vigilance tout époux attaché au principe protecteur de la cogestion, la lettre pouvant, même ici, triompher de l’esprit.

Il faut un droit, au sens juridique du terme, que le régime primaire puisse plier à l’ordre public ! Un droit ancré dans les statuts ou une décision des associés. Ou au moins un bail, pour que l’article 1751 du Code civil (lequel précise que le droit au bail du local qui sert effectivement à l’habitation des époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage est réputé appartenir à l’un et à l’autre) puisse pallier l’inefficacité de l’article 215, alinéa 3.

Outre les questions liées à l’acquisition et à la vente, il arrive très régulièrement que le contentieux porte sur les travaux avec, en régime de communauté, les conséquences en matière de récompenses.

La vente ne chasse pas le profit !

Pourtant confrontée à un cas tout-à-fait classique, savoir la récompense due à la communauté par l’époux au titre des deniers communs employés pour financer des travaux d’amélioration d’un immeuble propre, la Cour d’appel de Montpellier s’est fourvoyée en énonçant que « le bien a été vendu, de sorte que ne se trouvant plus dans le patrimoine emprunteur, la récompense doit être égale au montant de la dépense faite ».

S’appuyant l’article 1469, alinéa 3, du Code civil, la Cour ce cassation délivre un tout autre message : en effet, « l’emprunt ayant servi à l’amélioration du bien propre [du mari], la récompense due à la communauté devait être égale au profit subsistant correspondant à l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur au jour de son aliénation » (Cass. 1e civ., 28 mars 2018, n° 16-28.025).

Dans une autre affaire, a été rejetée la demande de partage judiciaire complémentaire au titre de la récompense due à la communauté par le mari qui aurait financé, avec des deniers communs, l’achat et la rénovation d’un bien immobilier acquis par sa mère.

Pas de récompense pour belle-maman !

Après avoir rappelé qu’« une récompense n’est due à la communauté que dans le cas où un époux a emprunté des deniers communs pour servir son patrimoine propre et qu’il en est résulté un profit personnel pour cet époux » (C. civ., art. 1437), la Cour de cassation relève qu’« à tenir les allégations de [l’épouse] pour établies, les deniers communs utilisés pour l’achat et les travaux de rénovation de l’immeuble appartenant à [la mère de son mari] n’ont pas profité personnellement à celui-ci » et qu’« il n’a pas été soutenu et encore moins prouvé que celle-ci ait servi de prête-nom à son fils, de sorte qu’il n’est dû aucune récompense à la communauté » ; elle ajoute que « le dépassement par [le mari] de ses pouvoirs sur les biens communs, au profit d’un tiers, n’ouvrait pas droit à récompense » (Cass. 1e civ., 13 déc. 2017, n° 16-27.522).

La solution, qui n’a pas été publiée, tient sans doute en partie à la démonstration peu convaincante de l’épouse – dont les arguments sont, sans aucun ménagement, qualifiés d’« allégations ». Peut-être une tentative sur le fondement d’une donation en faveur de la belle-mère aurait-elle connu meilleur sort. Avec, certes, un mode de calcul de la récompense reposant sur la seule dépense faite, mais, le cas échéant, avec aussi une possibilité d’annulation de l’opération (C. civ., art. 1422 et 1427).

Filmographie patrimoniale

Je profite de la question des travaux, une fois n’est pas coutume, pour vous renvoyer au film de Joachim Lafosse, L’Économie du couple (2016), où le couple formé par Marie (Bérénice Bejo) et Boris (Cédric Kahn) se sépare sur fond de problèmes d’argent, avec la mère de l’épouse (Christine, jouée par Marthe Keller) qui essaie de trouver une solution en proposant à son gendre de l’employer à des travaux de rénovation. Une plongée intéressante dans le triste univers de la séparation…

PARTIE II : LA FISCALITÉ DES SCI (à suivre...)

La partie II portant sur la fiscalité des SCI (exonération de la résidence principale et transposition de l'arrêt Quemener) sera publiée dans un prochain flash.

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